Former un nouveau collègue : pourquoi et comment le refuser ?

Un salarié n’est tenu par aucune règle du Code du travail de former un nouveau collègue sans avoir donné son accord explicite. Pourtant, dans les faits, la transmission des savoirs s’invite souvent dans les tâches du quotidien, en douce, sans reconnaissance officielle ni compensation. Résultat : celui qui rechigne à endosser ce rôle s’expose parfois à des crispations avec la hiérarchie ou à des remontrances dont la légitimité reste discutable.

Impossible d’uniformiser la situation : tout dépend de la fiche de poste, de l’ancienneté, de la convention collective. Certaines structures valorisent la passation des compétences, d’autres en font une sorte de devoir tacite. Les marges de manœuvre existent, mais bien peu de salariés en mesurent la portée ou les contours.

Former un nouveau collègue : une mission valorisante ou une contrainte sous-estimée ?

Mettre la main à la pâte pour former un nouvel arrivant, ce n’est pas toujours une évidence. Certaines équipes considèrent le passage de relais comme une habitude bien ancrée, un réflexe de solidarité. Géraldine, dirigeante d’une jeune société dans le secteur du bien-être, insiste sur la fierté ressentie au sein de ses équipes : « La cohésion se renforce, la culture d’entreprise se façonne dans ces moments de partage ».

Mais parfois, cette mission se transforme sournoisement en tâche ingrate, surtout lorsque la charge ne diminue pas et que les efforts fournis passent sous silence. Aline, responsable logistique, partage son vécu : « On me demande de former Constance, mais aucun aménagement de mes objectifs, pas de prise en compte de la charge supplémentaire. » Surcharge, sentiment de ne pas être écoutée, tentation de tout arrêter : le terrain peut devenir délicat.

Pour comprendre réellement ce qui se joue autour de la formation d’un pair, trois axes méritent attention :

  • Transmission des compétences : la performance de l’entreprise repose grandement sur la circulation efficace des savoir-faire.
  • Culture collective : chaque organisation pose ses propres usages, fixe ses attentes, donne ou non une vraie valeur à la transmission.
  • Intégration et loyauté : accueillir un nouveau et le former, c’est aussi favoriser son attachement à l’équipe et à la structure.

Victor, manager dans la grande distribution, souligne : « Former un collègue, ça oblige à réfléchir à sa façon de travailler, à se questionner sur ce qu’on partage. Ça peut être stimulant, à condition qu’il y ait une vraie organisation et qu’on dispose du temps nécessaire. » C’est tout l’enjeu : la transmission devient pertinente si elle s’inscrit dans un cadre défini, avec un équilibre entre tâches et reconnaissance.

Ce que dit la loi : obligations et droits du salarié face à la formation d’un pair

Accompagner un collègue ne se fait pas pour faire plaisir à la hiérarchie. Le Code du travail fixe un cadre strict sur les missions du salarié. Selon l’article L. 6321-1, l’employeur est responsable de l’adaptation des salariés à leur fonction, et doit organiser la formation si besoin. Mais cette responsabilité n’implique pas que chaque salarié doive, systématiquement et par défaut, se transformer en formateur.

Pour imposer formellement la transmission, il faut que la mission figure explicitement dans le contrat de travail ou la fiche de poste. Élise Fabing, avocate, le précise : « Un salarié ne peut être obligé de former un autre que si cette mission est prévue dès le départ. » À défaut, s’il s’agit d’une simple demande, refuser n’ouvre pas la porte aux sanctions.

Voici les repères principaux en matière de règlementation interne :

  • Organisation par l’employeur : il doit s’assurer de la formation des équipes, et de leur sécurité, tout en veillant à une montée en compétences cohérente.
  • Possibilité de dire non : tant que la tâche de former un collègue ne figure pas au contrat, elle peut parfaitement être refusée, sans crainte de sanction.
  • Nécessité d’un avenant : toute mission non prévue à l’origine doit donner lieu à un écrit modifiant les termes du contrat.

Exception notable : concernant la sécurité, l’article L. 4141-2 oblige chaque salarié à coopérer aux actions de prévention décidées par l’employeur. Pour le reste, la frontière entre coup de main ponctuel et véritable mission de formateur se dessine dans la lettre du contrat, tout comme dans l’envie de s’engager.

Refuser de former un collègue : dans quels cas est-ce possible et avec quelles conséquences ?

Transmettre ses savoires à un collègue n’a rien de systématique. Le refus est parfaitement recevable dès lors que la mission ne figure pas de façon explicite dans le contrat ou la fiche de poste. La jurisprudence rappelle que toute modification notoire des fonctions nécessite l’aval du salarié. Si un employeur insiste sans avoir posé ce cadre contractuel, il ne peut invoquer de faute.

Plusieurs situations rendent ce refus légitime :

  • la formation empiète trop sur votre activité habituelle ou perturbe l’organisation de vos tâches ;
  • la charge supplémentaire déséquilibre nettement la répartition du travail ;
  • l’accompagnement demande une pédagogie ou des compétences non acquises, ou non reconnues ;
  • un critère objectif s’impose, comme un conflit d’intérêts, ou des tensions avérées au sein de l’équipe.

À l’opposé, lorsqu’accompagner un nouvel arrivant fait clairement partie de vos missions, le refus peut aboutir à une sanction, voire un licenciement pour motif disciplinaire. L’employeur pourra évoquer le non-respect des obligations prévues au contrat, à l’image d’Aline, responsable logistique, chargée officiellement de guider la progression de Constance.

La question de fond reste celle du cadre contractuel, de la clarté du dialogue et de la cohérence des attentes posées. Avant d’accepter d’endosser la transmission, un passage par la case “contrat” s’impose : qu’est-ce qui est stipulé noir sur blanc ?

Femme isolée dans un couloir de bureau avec collègues en arrière-plan

Ressources et conseils pour mieux gérer la transmission de compétences en entreprise

Réussir la formation d’un pair ne s’improvise pas. Un transfert de compétences efficace dépend d’un plan réfléchi, d’objectifs précis et d’un climat de confiance. Selon Ludovic Girodon, spécialiste du management, tout commence par la définition claire des attentes et l’adaptation des méthodes à chaque binôme. Le choix des outils (présentiel, distanciel, supports interactifs) doit coller à la réalité de l’équipe et stimuler l’engagement au quotidien.

Plusieurs formats et approches peuvent nourrir ces démarches :

  • les outils interactifs facilitent la prise en main rapide des contenus, permettent de varier les méthodes et de donner du rythme à l’apprentissage ;
  • les tableaux collaboratifs, jeux sérieux ou modules courts (micro-learning) favorisent l’implication des collaborateurs, stimulent l’appropriation des savoirs et aident à créer du lien ;
  • le retour d’expérience partagé donne la possibilité d’ajuster la progression, d’affiner la méthode et de valoriser le rôle de chacun.

Un autre point fait la différence : la sécurité psychologique. Créer une ambiance où tout le monde peut s’exprimer, oser poser des questions, tester, se tromper et recommencer, c’est la responsabilité du management. Il appartient au manager de prévenir les tensions, d’accompagner les retours et de favoriser le dialogue après chaque étape de formation. Miser sur la clarté des messages, l’écoute active et l’ajustement continu, tout cela fiabilise la dynamique collective.

Prendre le temps de mesurer ce qui fonctionne, soutenir ceux qui transmettent comme ceux qui apprennent, valoriser les compétences relationnelles : une démarche structurée accroît la cohésion et pose les bases d’une équipe qui avance ensemble.

Former un nouveau, ce n’est jamais une formalité. C’est un acte engageant, qui façonne l’équipe autant que les savoirs transmis. Demain, la solidité d’un groupe résidera aussi dans sa capacité à faire circuler ses compétences, pour mieux grandir ensemble.

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